Tracteurs
Ce sont deux faits qui m’ont donné l’idée d’écrire un article sur les tracteurs. Bien que ce ne soient pas forcément des véhicules que les «pistonheads» affectionnent, ce sont quand même des engins motorisés à 4 roues et Porsche en a même construit avec un petit tracteur nommé Junior.
Oui, ce printemps lors d’un rallye de régularité sur les routes du Nord du pays, nous avons franchis à de très nombreuses reprises la frontière luxembourgeoise, pour nous retrouver sur quelques kilomètres en Belgique. Les habitués des routes luxembourgeoises, caractérisées par la qualité du revêtement, peuvent savoir quasiment à 1 mètre près quand ils ont passé la frontière. Un autre indice est la qualité de la restauration des anciennes maisons ou encore plus simplement les modèles de voitures et leur âge moyen. Par contre, je n’avais jamais remarqué qu’un autre indice pouvait être donné en observant les tracteurs.
Tracteurs full-option pour le Luxembourg…
En effet, arrivé sur le territoire belge, je voyais des tracteurs relativement petits et dans la cour des fermes souvent des tracteurs étroits et plutôt anciens, certains pouvant même prétendre à un titre de véhicules historiques. Et sur le territoire du Grand-Duché, nous devions faire attention quand nous en croisions un, tellement il était large, grand et technologique avec habitacle fermé et vitres teintées. Assurément les agriculteurs luxembourgeois ont l’habitude lorsqu’ils commandent un nouveau tracteur de demander le plus gros, le plus puissant et de cocher pratiquement toutes les options disponibles qui vont de la clim, du siège en cuir, du réservoir géant, de la stéréo avec casque d’écoute Hi-FI, d’un écran de TV, d’un navigateur et de jantes peintes dans la couleur de leur choix et montée en 50 pouces. Nous sommes même étonnés que des constructeurs de tracteurs n’aient pas eu l’idée de présenter une version M, AMG ou GTS….
Les tracteurs du Nebraska…
Venons-en au deuxième fait, il s’agit d’un article du Monde intitulé “Les agriculteurs hackeurs du Nebraska”. Le Nebraska est une région à fort caractère rural et les agriculteurs ont l’habitude d’installer devant leur ferme, souvent très isolée, une sorte d’atelier mécanique afin de pouvoir réparer leur tracteur et moissonneuse eux-mêmes. Au pire, ils demandaient au petit garage local de venir leur donner un coup de main pour réparer la mécanique. Mais aujourd’hui ce travail est de plus en plus compliqué, voire impossible, car les nouveaux tracteurs sont un concentré de haute technologie avec de l’électronique partout. En citant l’article, nous comprenons mieux la douleur des agriculteurs perdu au milieu de nulle part sur le continent Nord-Américain…”Un tracteur récent contient entre cinq et dix boitiers informatiques, et des dizaines de capteurs qui contrôlent le moteur et mesurent toutes les tâches de production, semis, épandage, pulvérisation, récolte….Il y a aussi le GPS, qui nous aide à tracer les sillons…”. Et toutes ces données sont transmises vers les data centers des constructeurs de tracteurs par un émetteur satellite. Ces mêmes donnés sont également transmises en étant revendues (pas par l’agriculteur!) aux producteurs d’engrais, et d’autres produits utilisés dans l’agriculture de masse. Probablement que des cabinets d’études et de consultants paient aussi ces data pour pouvoir mieux cibler cette population d’acheteurs potentiels.
La loi des constructeurs de tracteurs…
Ces mêmes ordinateurs sont souvent verrouillés par les constructeurs de tracteurs et seuls les concessionnaires peuvent avoir le logiciel adéquat pour d’une part diagnostiquer la panne et d’autre part effectuer les réparations requises. Nous apprenons aussi que John Deere fait même signer à ses clients un contrat leur interdisant de modifier leur engin, d’intervenir sur les ordinateurs etc…
Les grands propriétaires terriens s’en sortent car ils ont les moyens d’acheter ou de “leaser” des tracteurs neufs et profitent ainsi de la garantie du constructeur. Par contre les petits agriculteurs et éleveurs qui doivent eux pour une question de moyens financiers acheter un tracteur d’occasion, mais quand même récent et donc bourré d’électronique font la grise mine, car à la première panne ou défectuosité, il sont comme on dit chez nous le bec dans l’eau ou point et bec lié avec la loi du constructeur…Mais un agriculteur est inventif et des solutions parallèles existent sous la forme de logiciels plus ou moins pirate et le plus connu est le “software ukrainien”. D’autres softwares permettent aussi facilement d’augmenter la puissance du tracteur pour un peu plus de 1000 $ alors que les constructeurs seront plutôt aux alentours de 10 à 20’000$.
Fair Repair Act…
Ces actions ne sont pas restées sans une réaction des constructeurs de tracteurs et machine agricoles surtout que les agriculteurs du Nebraska ont déclenché une réelle bataille politique en créant un projet de loi baptisé “Fair Repair Act” et une association nationale baptisée “Repair.org”, l’appellation parle d’elle-même. Le responsable de cette rébellion est un certain Kevin Kennedy qui argumente que la loi fédérale autorise les propriétaires à modifier leur tracteur et qu’ils sont juste “coincés” par des contrats injustes, assez unilatéraux et par la politique commerciale des constructeurs. Ce type d’intervention ne passe pas inaperçue chez les constructeurs et aussi les géants de l’industrie et des services comme Apple. Début 2017, des avocats d’affaires man datés par les grands groupes a même débarqué à Lincoln, capitale du Nebraska pour essayer de balayer cette nouvelle loi.
Des ateliers pirates dans l’univers des tracteurs…
Des ateliers de réparation “pirate”, ce qui veut dire pas sous contrat avec les constructeurs voient le jour afin de permettre aux agriculteurs de faire réparer moins cher et efficacement leurs véhicules “technologiques” que sont devenus les tracteurs. Des militants liés à Repair veulent aussi empêcher les constructeurs de tout connaitre par transmission de données par le GPS afin qu’à terme les tracteurs ne deviennent pas des machines en conduite autonomes. La bataille fait donc rage dans cette Amérique profonde et une fronde commence à s’élever tant chez les agriculteurs que chez les usagers de voitures quant à l’utilisation qui est faite des données emmagasinées à leur insu ou sans rémunération préalable sur le mode de conduite, les habitudes de déplacement, la façon de labourer un champ etc….
Alors oui, la technologie a envahi les tracteurs et nous sommes, avec un véhicule qui semblait anodin dans le titre de cet article, parachutés au beau milieu d’une guerre qui est liée au Big Data. Voilà pour le mot de la fin sur le thème des tracteurs, pour une fois que nous ne parlions pas des «tracteurs de Chelsea» (de cet article).
Loud Pipes